Comment la toilette externe influence le microbiote urogénital

Interview du Dr Bohbot, Président de l’Académie du Microbiote Urogénital

Le Dr Jean-Marc Bohbot, médecin infectiologue à l’Institut Fournier de Paris et Président de l’Académie du Microbiote Urogénital, nous explique les règles d’une bonne hygiène intime. 

Pouvez-vous nous définir le microbiote urogénital et ses spécificités ?

« Le microbiote correspond à une communauté de micro-organismes vivant dans un milieu donné. Le microbiote urogénital est en fait constitué de plusieurs microbiotes, tous interconnectés les uns aux autres. Le microbiote vaginal, le plus connu, est constitué majoritairement de lactobacilles chez les femmes en bonne santé et non ménopausées. Le microbiote urogénital comprend également le microbiote urinaire, le microbiote de l’endomètre et le microbiote périnéal et vulvaire. L’ensemble est connecté au microbiote intestinal et interagit avec le microbiote du partenaire sexuel. En cas de pathologie urogénitale récidivante, il est nécessaire d’avoir une prise en charge globale de la patiente. 

Quels sont les principales causes et conséquences d’un déséquilibre du microbiote urogénital ?

Un microbiote urogénital équilibré est dominé par les lactobacilles dépendants des oestrogènes. On estime qu’il existe environ 40% d’agents potentiellement pathogènes au sein du microbiote qui peuvent se développer lors de modifications qui perturbent son équilibre. 

Ils peuvent ainsi provoquer des infections, une sécheresse vaginale, des dyspareunies, des modifications de l’endomètre mais aussi, une prématurité, des fausses couches, des échecs de FIV et possiblement des cancers.

Les facteurs de déséquilibres sont multiples : cures d’antibiotiques, tabac, diminution du taux d’oestrogènes à la ménopause ou en post-partum, changements fréquents de partenaires, diabète, surpoids, obésité, stress chronique, situation d’immuno-dépression sans oublier des mauvaises pratiques d’hygiène…

Quels sont les conseils à donner pour une bonne hygiène ?

Avant tout chose, il faut savoir que le vagin est auto-nettoyant et n’a pas besoin d’être nettoyé de l’intérieur. Les douches vaginales sont donc proscrites mais sont heureusement de moins en moins pratiquées. La toilette externe reste cependant indispensable et influence fortement l’équilibre du microbiote urogénital. En effet, le réservoir des lactobacilles, garants de la bonne santé du vagin, se situe au niveau du rectum. En cas de diminution des lactobacilles vaginaux, les lactobacilles se déplacent via la peau du périnée du rectum vers le vagin. Si des antiseptiques sont utilisés quotidiennement ou lors d’épisodes infectieux, il y a un fort risque de diminution de la colonisation vaginale physiologique entrainant un risque de pérennisation d’infections. En outre, le déplacement des lactobacilles est facilité par le film hydro-lipidique situé à la surface des téguments. Les toilettes trop fréquentes à l’eau ou avec des savons et gels douches « trop décapants » endommagent ce film hydrolipidique endogène et entrainent une sécheresse des muqueuses.

Quand parle-t ’on d’une hygiène non correcte ?

Dans les pays à climat tempéré, une à deux toilettes par jour suffisent, à condition de bien rincer et de bien sécher cette zone. Il faut mettre en garde les femmes se lavant après chaque miction ou après le passage à la selle, car le nombre trop important de lavages provoque à la longue un effet délétère. Pour une hygiène optimale, il faut éviter la toilette uniquement avec de l’eau ou avec des produits inadaptés comme les gels douche ou les savons classiques, de type savon de Marseille, trop décapants et asséchants. Il faut rappeler que cette zone est spécifique, sensible, fragile. Le produit d’hygiène intime devra donc respecter l’hydratation naturelle d’une part et le microbiote local d’autre part. Ainsi les produits hydratants et surgraissants sont particulièrement adaptés à cette zone anatomique. Une bonne hygiène s’apprend dès le plus jeune âge chez la petite fille qui peut imiter sa maman en utilisant les mêmes produits qu’elle.

Quelle est la protection hygiénique à privilégier pendant les périodes de règles ?

Il n’y a pas de méthode particulière plus efficace ou plus sécuritaire que les autres. Toutes sont « safe » pour peu que les conditions d’utilisation soient respectées et notamment que ces protections soient changées régulièrement. Le risque du toxic shock syndrome a été très médiatisé mais ce dernier reste exceptionnel. Il est lié à un mésusage du tampon ou de la cup. La protection dépend de l’anatomie, du confort et des occupations de chaque femme. Cependant en cas d’irritation vulvaire très importante, on peut éventuellement déconseiller le port de serviettes hygiéniques en raison du frottement de la zone.

Dans quelles situations devons-nous avoir le réflexe probiotiques ?

Devant toutes situations de risque de déséquilibre du microbiote urogénital, il   convient d’utiliser des souches spécifiques du microbiote vaginal, principalement des lactobacilles. En cas de prise d’antibiotiques chez une femme à risques de candidoses, des probiotiques doivent être conseillés plutôt que la prescription systématique à visée préventive d’ovules antifongiques. En effet, les antibiotiques peuvent provoquer des mycoses mais aussi des vaginoses bactériennes pour lesquelles les antifongiques n’auront aucun effet. Des probiotiques spécifiques pour le vagin peuvent être donnés par voie orale pendant et au moins une semaine après la fin du traitement antibiotique. Des études récentes ont montré que les levures Saccharomyces bien connues pour leur efficacité sur le microbiote intestinal pouvaient également être actives au niveau vaginal. 

En cas de récidives d’infections, la prise quotidienne ou fractionnée de probiotiques pendant au moins trois mois, avec un arrêt progressif peut être conseillé à condition d’éliminer ou de diminuer les autres facteurs de risques tels que le tabac, le manque d’exercice physique, le stress… Les probiotiques ne peuvent pas tout, ne sont pas magique. Ils ne doivent pas devenir automatiques mais plutôt être donnés dans des indications particulières. Des formules associant probiotiques et phytothérapie peuvent être intéressantes par exemple en cas d’infections urinaires fréquentes, tout en traitant également les autres causes comme la constipation, les problèmes de digestion et une hygiène mauvaise ou non adaptée. D’où une approche personnalisée de la patiente.

Et chez la femme ménopausée ?

Le taux d’oestrogènes diminuant lors de la ménopause, les changements du microbiote urogénital se manifestent par une sécheresse vaginale et des douleurs lors des rapports sexuels… Des préparations à base de probiotiques, données en cures 2 à 3 fois par an, période de pré-ménopause, vers 45-47 ans, donnent de bons résultats. Une femme qui dès le début de la ménopause a suffisamment de lactobacilles vaginaux aura 10 fois moins de sécheresse et 4 fois moins de douleurs par rapport à une femme ménopausée sans lactobacilles. Préparons donc les ménopauses avec des probiotiques ! »

Les critères de choix pour un produit d’hygiène intime
Il est nécessaire d’utiliser un produit d’hygiène, employé quotidiennement et adapté à cette zone spécifique et différente des autres parties du corps. Le produit de toilette doit respecter le microbiote, sans antiseptique, et le film hydrolipidique, sans savon décapant. Les syndets (synthetic detergents ou « savons sans savon ») avec des composants hydratants sont ainsi conseillés. Quant à la mention de « respect du pH », elle n’a pas de valeur spécifique, le pH de cette zone externe variant de 4,8 à 8. Les produits d’hygiène avec des antiseptiques naturels comme le thym peuvent être utilisés en cas de situations spécifiques (règles, grossesse, post-partum) sans répercussion néfaste sur le microbiote.